Introduction à la lecture Rose Ausländer


L’association franco-allemande Consonances présente la poétesse Rose Ausländer (1901-1988) lors d’une lecture musicale bilingue le 27 novembre à 17h au Centre Diocésain ainsi que l’artiste peintre de Freiburg Irene Ulrich, inspirée par les poèmes de l’écrivaine.

Née en Bucovine, région aujourd’hui partagée entre la Roumanie et l’Ukraine, philosophe de formation, Rose Ausländer écrit dans sa langue maternelle, l’allemand. Happée par la guerre et les persécutions, juive, à 39 ans, elle est condamnée aux travaux forcés, ce qui la sauve du camp d’extermination de Transnistrie. Dans le ghetto de Czernowitz se retrouvent les poètes, dont Paul Celan. La poésie est leur refuge « Ecrire, c’était vivre. Survivre. ».

A la fin de la guerre, Rose Ausländer s’installe à New York, mais ne cesse de naviguer entre les deux continents. Elle « oublie » l’allemand, écrit en anglais jusqu’en 1954, année où la poétesse américaine Marianne Moor et Paul Celan l’encouragent à reprendre sa langue. Dès lors, elle publie ses recueils dans sa langue maternelle, obtient de nombreux prix littéraires prestigieux en Allemagne. En 1964 elle s’établit définitivement à Düsseldorf. Elle écrit jusqu’à sa mort une poésie résiliente, dans une langue dépouillée, simple, pour atteindre la profondeur des choses et exprimer sa foi en l’homme et sa fusion avec l’univers.

Exposition des tableaux de Irene Ulrich du 23 au 30 novembre, espace Ledeur du Centre Diocésain.


Musique : mélodies juives, Beethoven, Schoenberg, Schumann, Chopin, Schubert, Webern et Bartok.

Interprètes : Yves Descharmes, piano, Szuhwa Wu, violon

Lecteurs : Beate et Philippe de La Garanderie, Liliane Tuetey-Descharmes.


Tarifs : 12€ (plein)/ 8€ (abonnés, scolaires, étudiants, demandeurs d’emploi) /5€ (carte avantages jeunes)


  

Ce 27 novembre, l’association franco-allemande Consonances de Besançon, notre ville jumelée, a convié à une « Lecture musicale » des poèmes de Rose Ausländer, poète germano-romano-américaine d’origine juive. Cette poète est née en 1901 dans la Bucovine multiculturelle et plurilangue, elle y a rencontré Alfred Margul-Sperber et Paul Celan – pour ne citer que le plus âgé et le plus jeune de ses collègues poètes – mais la mort de son père, sa relation à sa mère, les guerres, les bouleversements politiques, les persécutions et, en fin de compte, son amour de la langue allemande l’ont fait naviguer entre la Roumanie, l’Autriche-Hongrie et les USA pour finalement la conduire en Allemagne où depuis 1965 elle transforma sa veine poétique en de

nombreux recueils de poésie, trouva son public ainsi que la reconnaissance officielle. Elle y mourut en 1988. Ses débuts en poésie entre 1927 et 1947 montrent une proximité formelle avec le néoromantisme d’un Rilke par exemple, avec le symbolisme et le classicisme du tournant du siècle, mais aussi avec la métaphore expressionniste audacieuse quand, pour la première fois, l’oxymore « lait noir » est utilisé, plutôt accessoirement il est vrai, en comparaison de sa fonction dans la célèbre « Fugue de la mort » de Paul Celan. Plus que Celan, ce sont sûrement des collègues poètes américains qui lui ont définitivement inspiré son langage poétique très personnel. A la différence de ses collègues de la « Trümmerliteratur » (« littérature des ruines »), et à l’opposé du verdict d’Adorno reléguant l’acte poétique à une « barbarie » après Auschwitz, Rose Ausländer ose la beauté et la magie aérienne du mot, garde par le biais des motifs le contact avec le monde perdu de son enfance, mais brise aussi ses vers

jusqu’au mot isolé et au simple lien sonore du contenu discordant. Etablie en Allemagne, elle reste un peu étrangère à l’époque et à l’espace où elle vit, un peu en dehors du temps. Cela contribue en partie à la fascination qu’exercent ses textes.

L’introduction, le choix des poèmes, la partition d’une lecture pour ainsi dire orchestrée en deux langues et trois voix – langue parlée ou projetée sur l’écran – sont le fait de Liliane Tuetey-Descharmes qui transforme la lecture en un dialogue poétique avec Beate et Philippe de La Garanderie. La structure de la lecture alla de l’enfance heureuse de la petite « Rose Scherzer » « Lorsque nos parents/ autorisaient les anges/ à dormir dans nos petits lits » au temps des bourreaux. De ce temps-là, « Rose Ausländer »,

déracinée, s’est toujours sentie prisonnière et arrachée. (« Je porte mon noman’s land/ dans mon sac/ Avec un passeport étranger je voyage/ d’une mer à l’autre. » « Un été aveugle » laisse l’image d’une nature poétique glisser en allitérations « Les roses ont un goût rouge-rance » et pousse l’écriture aux frontières du langage « Les baies se gonflent d’encre/ et sur la peau de l’agneau le

parchemin est rêche ». Encre et parchemin unis dans la fatalité. Mais Rose Ausländer sauve l’espoir humain :  Autour de la respiration de la lune des étoiles sans nom brillent Nos étoiles terrestres Pain mots et  Etreinte

Yves Descharmes au piano et la violoniste Szuhwa Wu du conservatoire de musique de Besançon – connus pour rayonner au-delà de leur région –ajoutèrent à la lecture leurs propres accents musicaux. Au cours des intermezzi, Szuhwa Wu, avec ses vifs pizzicati, ses glissandi provocants et un rythme dansant, rappela dans Bartok l’un des nombreux idiomes musicaux de la Bucovine ; par l’atmosphère créée, la musique romantique évoqua dans cette formation de musique de chambre les traces de la tradition présente aussi dans la poésie de Rose Ausländer ; mais on eut aussi l’audace d’une rencontre de choc avec la musique de Schoenberg. Les tableaux de Irene Ulrich, projetés à l’arrière-plan, ont créé un effet de surprise. On peut lire ailleurs que certains textes de Rose Ausländer font penser à des tableaux de Chagall. Irene Ulrich s’est inspirée des poèmes pour les traduire dans le langage pictural du présent. Cercles et carrés comme formes primitives répétitives, parfois avec le geste énergique d’une impulsion soudaine, ainsi que traces de chiffon, de pulvérisation et de grattage témoignent d’un processus personnel de dialogue

avec le texte qui aurait pu marquer une pause, mais qui trouve sa structure dans son temps d’arrêt. Des lignes telles des signes d’une écriture inconnue agissent comme des médiatrices du texte, source d’inspiration, auquel chacun des tableaux se rapporte. Parfois ce sont des collages, parfois des lignes où transparait le texte, apparemment dilué dans l’eau, qui ressortent à côté de la

citation comme s’il s’agissait des étapes du processus de création. La citation « Glisse ton espace dans le cadre du temps » traduit le langage et les mots par la graphie et le dessin, en une ligne en filigrane, une figure rythmique et spatiale. C’est comme si le rapport précaire de Rose Ausländer à l’espace et au temps, sa tentative de se créer de l’espace et du temps à travers la création poétique, mais aussi le rapport de la spatialité picturale à la temporalité de l’acte poétique étaient devenus image. Irene Ulrich emploie des moyens d’expression semblables par exemple dans « Le temps est mon ami – mon ennemi » ou dans « Instants d’éternité ». A un autre endroit le mot « WIRKLICHKEIT » (« REALITE»), écrit en majuscule comme sur une affiche, saute aux yeux. Il est bien sûr délavé et figure dans un contexte complexe d’image, d’écriture et de traces dans lequel le dialogue

poétique de Rose Ausländer avec ses lecteurs semble se refléter : « J’ai rêvé à ma façon ce qu’on appelle Réalité, j’ai transformé ce que j’ai rêvé en mots et envoyé dans la réalité du monde ma réalité rêvée des mots. Et le monde est revenu vers moi. » Ce ne sont que des extraits et des exemples. Les tableaux de Irene Ulrich doivent être regardés, mais aussi lus, non seulement là où il y a des traces de texte, mais aussi justement parce qu’ils sont (aussi) TEXTE. La Lecture Musicale n’a pas été qu’une œuvre d’art franco-allemande réunissant plusieurs genres. Les invités allemands de Consonances ont été accueillis avec chaleur et générosité et purent ensuite savourer une soirée conviviale marquée par l’amitié et l’ouverture d’esprit. Nous pouvons nous réjouir de répondre à cette hospitalité : la Lecture Musicale viendra à Fribourg, dans les locaux de l’Institut Goethe !

Reinhard Koch

Traduction Liliane Tuetey-Descharmes